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discours de réception.

sa plume, et que nous croyons avoir connus ? Si je rassemblais tous ces traits épars, si je laissais en quelque sorte M. Nodier parler seul, et vous redire ce que nul ne saurait dire aussi bien que lui, vous m’oublieriez en l’écoutant, et je ne craindrais pas, dès cette première épreuve, de vous faire regretter l’indulgente bienveillance à laquelle je dois l’honneur de siéger parmi vous. Malheureusement, Messieurs, une telle ressource m’est interdite. Ce serait mal comprendre, en effet, M. Nodier ; ce serait ignorer, non-seulement le caractère de son talent, mais la nature même de son esprit, que de supposer qu’il eut jamais l’intention de se donner pour un historien, et surtout pour un biographe. Qu’il s’agisse de lui, qu’il s’agisse des autres, qu’importe à M. Nodier l’exactitude rigoureuse des faits ? Pour lui, tout est drame ou roman. Il cherche partout des traits et des couleurs. Un nom propre lui rappelle une idée, d’où bientôt jaillit une composition tout entière. Ce qu’il touche, il l’orne à plaisir. — Socrate avait sculpté dans les Propylées les statues des Grâces couvertes de vêtements magnifiques ; M. Nodier voile l’histoire d’une parure empruntée à la poésie. Parfois il s’introduit lui-même dans son œuvre, à l’exemple de ces anciens peintres qui se représentèrent dans leurs tableaux agenouillés aux pieds de la Vierge ou assis à la table des apôtres.

Ici, Messieurs, je me rappelle involontairement ce mot d’un homme qui se prenait pour un érudit, et que la postérité comptera surtout parmi les habiles écrivains de notre époque. « Plutarque, disait Courier, ferait gagner à Pompée la bataille de Pharsale si cela pouvait arrondir tant soit peu sa phrase. Il a raison. » M. Nodier était de l’école de