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discours de réception.

un décret qui interdisait aux nobles la résidence des places de guerre, il gémissait d’abandonner son élève sans guide dans un pareil moment. Heureusement M. Nodier père, comprenant la nécessité d’arracher son fils aux hideux spectacles qui l’entouraient, eut le courage de s’en séparer, et de le remettre aux soins du proscrit. Il espérait d’ailleurs que l’innocence de l’enfant protégerait la vie du vieillard, dont le patriotisme ne pouvait faire oublier la naissance. — « Je ne connais pas d’homme plus vertueux que toi, dit le juge à M. de Chantrans ; tu méritais de n’être pas né gentilhomme ; mais obéis à la loi ; emmène mon fils ; va vivre avec lui au village ; je te le confie ; tu lui apprendras à connaître la Nature et la Vérité. » C’était le style du temps. M. de Chantrans alla s’établir avec son pupille au hameau de Novilars, et dans cette charmante solitude ils attendirent la fin de la tempête.

Le vieil ingénieur voulait enseigner les mathématiques à son élève, espérant qu’elles pourraient régler et tempérer une imagination dont l’ardeur lui inspirait de sérieuses inquiétudes ; mais la géométrie n’avait point de charmes pour un enfant qui déjà griffonnait des vers. La poésie est un don inné dans sa famille. Un de ses oncles a laissé au théâtre une tragédie et des opéras estimés ; et la muse de M. Charles Nodier, vous le savez, Messieurs, continue d’inspirer sa fille. L’étude de l’histoire naturelle, et surtout de l’entomologie, qui d’abord n’avait été qu’une récréation pour les deux exilés, devint bientôt leur occupation principale. Le jour se passait en promenades, ou plutôt en courses vagabondes. Le soir, après avoir mis en ordre le butin de la journée, des insectes et des plantes, on se trouvait trop fa-