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discours de m. mérimée.

exilée, et le calme ne rentre dans son cœur qu’au moment où le ciel de la France est rendu à tous ses enfants ; et moi-même, menacé alors d’une persécution, que le désir d’honorer sa mémoire peut seul me rappeler, je le vois accourir, et il m’adresse ces mots que je n’ai jamais oubliés « Dieu vient de m’accorder un nouvel enfant je pourrais lui assurer un haut patronage ; je viens le placer sous celui d’un ami malheureux ; je vous prie de lui donner votre nom. »

Ainsi, quand il disait : « J’ai toujours été du parti des vaincus, » ces paroles, qui, au temps où nous vivons, appellent le sourire de l’incrédulité, n’était-il pas du petit nombre de ceux qui avaient le droit de les prononcer ?

Faut-il, d’ailleurs, s’étonner qu’un homme qui fut trop souvent, et qui se crut toujours malheureux, ait embrassé si ardemment la cause du malheur ? Les hautes facultés de l’esprit, les nobles qualités du cœur n’ont point préservé sa vie de soucis et d’amertume. La bienveillance universelle qu’il avait si bien méritée, les empressements de la plus sincère amitié n’ont pu dissiper les fantômes d’une imagination inquiète et malade, et c’est ce trouble de son âme qui peut-être ne lui a pas permis d’atteindre le haut rang où l’appelaient de fortes études et le développement hâtif de sa merveilleuse intelligence.

Ses premières impressions ont influé sur toute sa destinée ; à huit ans, il lisait Montaigne et J. J. Rousseau ; à douze, Goëthe et Rabelais. Il commençait ses humanités au moment où grondait l’orage de notre grande révolution la France enivrée célébrait la liberté naissante, son nom seul faisait battre tous les cœurs, et l’âme ardente du jeune Nodier s’abandonna avec transport à toutes les espérances d’une