Page:Académie française - Recueil des discours, 1850-1859, 2e partie, 1860.djvu/436

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

mes souvenirs. Me sera-t-il permis de prononcer ici un nom qui m’est bien cher, d’exprimer devant vous mes regrets pour ce noble talent d’Auguste Brizeux, dont vos suffrages ont plus d’une fois couronné l’élégance et la chaste vigueur ?

Plus jeune que l’auteur de Marie, Alfred de Musset a disparu le premier. Il était venu rendre à la poésie française ces cordes légères qui lui donnaient jadis son charme le plus apprécié et peut-être le plus naturel. La nouvelle école s’était fait un domaine plus grave, elle était volontiers religieuse et contemplative. Mais l’esprit, français éprouvait sans doute, de cette parole enthousiaste et solennelle, une vague lassitude ; il songeait à s’en distraire avec une muse plus vive, plus facile et plus variée. Le nouveau venu, sous mille traits passionnés ou rêveurs, allait nous rendre ce fin sourire qui tempère les émotions sérieuses en leur laissant leur sincérité.

Encore écolier par l’âge au moment de ses débuts, il songea vite à témoigner de son indépendance par les caprices de son audacieuse prosodie.

Mais elle résidait ailleurs et venait de plus haut, cette originalité dont il avait le juste orgueil. Il était bien à lui ce style net et dégagé des Contes d’Espagne qui entraîne le lecteur, et laisse si loin à l’arrière-plan des sujets un peu risqués. Elle est à lui surtout cette pointe d’ironie qui perce à travers l’emphase, et, faisant douter parfois du sérieux de l’auteur, atténue la hardiesse de ses tableaux ; et cette autre qualité toute française, et pourtant alors un peu oubliée, l’esprit qu’il venait réconcilier avec la poésie nouvelle. L’esprit éclatait dans ses premières pages ; il s’unissait dans sa témérité