Page:Académie française - Recueil des discours, 1860-1869, 1re partie, 1866.djvu/117

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jour affaire à lui. Comment croire que ce grand vainqueur, ce roi du vaudeville, oubliant tout à coup la façon cavalière dont chaque soir il traitait la musique, consentirait de bonne grâce à se faire son serviteur ? En changeant de théâtre il garderait ses habitudes, j’en étais convaincu, je l’avais même écrit ; mais quand il fut à l’œuvre, quand je vis que, sans abdiquer, sans tout céder à sa compagne, il lui faisait les honneurs du logis, et, non content de cette déférence, l’entourait des plus tendres soins, lui suggérait des idées, lui ménageait d’heureux contrastes, lui préparait d’amples développements ; quand je le vis surtout, acceptant, avec stoïcisme, les tyranniques symétries de la phrase musicale, mettre bravement ses vers sur le lit de Procruste, et condamner ses hémistiches aux plus pénibles opérations, j’avoue que je fus pris d’une singulière estime pour cet auxiliaire imprévu. Tant d’abnégation d’amour-propre, ce dévouement à la cause commune, cet amour de l’art, en un mot, poussé jusqu’au sacrifice, me révélaient chez lui des régions inconnues. Il comprenait donc autre chose que ses bons mots et ses chansons ! De ce jour je le vis sous un aspect absolument nouveau et l’impression m’en est restée.

Aussi, je le déclare, tout en reconnaissant l’incontestable mérite d’ouvrages plus importants, et sauf à ranger à part le charmant Théâtre de Madame, qui a pour lui sa fleur de jeunesse et sa franche originalité, ce que je place au premier rang dans le vaste répertoire de Scribe, c’est la série de ses drames lyriques. Pour justifier cette préférence, peu conforme peut-être aux lois de la hiérarchie, il me faudrait montrer tout ce qu’il y a d’imagination, de souplesse, de pénétration, de vrai sentiment de l’art dans ces petits chefs-