Page:Académie française - Recueil des discours, 1860-1869, 1re partie, 1866.djvu/126

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des institutions périssables : et la liberté, de son côté, méconnaissait dans la conscience chrétienne sa plus naturelle alliée. Un prêtre que n’effrayaient pas les nouvelles conditions sociales de la France devait se résigner à passer pour un phénomène à peu près inexplicable. Il n’y avait peut-être de plus rare à rencontrerqu’un libéral qui ne demandât pas l’arbitraire contre l’Église. Admis dans la maison ecclésiastique d’Issy, sous des ombrages qui rappelaient Versailles, auprès de ces docteurs de Saint-Sulpice, d’un esprit tempéré et d’une doctrine sévère, qui avaient la foi du grand siècle et les manières de l’ancienne France, un jeune philosophe, sorti tout bouillant du foyer même de la société moderne, devait causer et ressentir quelque surprise. Il lui échappait des mots qui troublaient, des saillies inattendues en dehors des sentiers battus de l’enseignement. Il entrevoyait des régions inconnues du monde moral dont il rêvait d’être le missionnaire. « Sans le vouloir, disait-il plus tard, je sortais de la physionomie ordinaire des élèves. » Il quitta le séminaire après trois ans d’études, fervent mais triste, agité bien que soumis, plus surveillé qu’encouragé par ses supérieurs dans le poste d’aumônier de collège où ils l’avaient placé, et puisant dans sa foi solitaire une surabondance de zèle dont il ne trouvait pas l’emploi.

Dans ce chagrin de n’être pas compris, peut-être de ne pas voir clair au fond de lui-même, une idée traversa son esprit : quitter la France, fuir notre sol jonché de trop de débris, chercher une terre sans passé, par conséquent sans préjugés et sans récriminations, où il n’y eût pas de vieux comptes à régler entre la religion et la liberté. Il songea sérieusement à traverser l’Atlantique et à aller servir Dieu