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Page:Académie française - Recueil des discours, 1860-1869, 1re partie, 1866.djvu/135

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sante dans cette majesté désarmée du Vatican, qui, depuis dix siècles, tient en respect tous les conquérants, qui n’a joint la couronne à la tiare que pour mettre la conscience émancipée au niveau de toutes les grandeurs de la terre, et parce que l’empire des âmes est seul de taille à occuper, sans le plus ridicule des contrastes, le trône qu’a laissé vacant la déshérence des maîtres du monde.

Lacordaire se soumit du fond de l’âme ; Lamennais, des lèvres seulement, en laissant échapper dès le premier jour les grondements d’un cœur irrité. Par un contraste que personne n’avait prévu, celui qui sut modérer son ressentiment fut l’ardent jeune homme connu seulement par la verve impétueuse de quelques écrits. Le docteur émérite dont toutes les paroles tombaient avec la majesté d’un oracle ne trouva pas dans la responsabilité d’une gloire acquise et d’une vie entière à démentir la force de dominer un jour de ressentiment.

Rien n’attache une âme généreuse comme le malheur. Il était particulièrement dur à Lacordaire d’abandonner M. de Lamennais dans sa disgrâce. Il le suivit dans sa retraite de Bretagne, s’attachant à lui pour le calmer et le retenir. Le jour vint pourtant où, tout effort étant impuissant, il fallut partir pour ne pas être entraîné dans la révolte qui allait éclater. Le temps navait rien enlevé à la douleur de cet instant suprême lorsque, trente ans après, Lacordaire le décrivait lui-même dans ces termes d’une vivacité poignante : « Des nuages terribles, dit-il dans ses Souvenirs encore inédits, passaient et repassaient sur ce front déshérité de la paix. Des paroles entrecoupées et menaçantes sortaient de cette bouche qui avait exprimé l’onction de l’Évan-