Page:Académie française - Recueil des discours, 1860-1869, 1re partie, 1866.djvu/177

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sion dont la Providence avait investi un grand homme. Du passé qui lui apparaissait à travers le prisme de la jeunesse, il avait retenu la religion du respect et cet enjouement ironique toujours tempéré par la bienveillance ; à notre temps, il avait emprunté l’ardeur d’investigation qu’il porta dans le champ de toutes les connaissances humaines, et la puissance simultanée de généralisation et d’analyse qui a, durant plus d’un demi-siècle, attaché son nom à toutes les conquêtes d’une grande ère scientifique.

M. Biot fît au collège Louis-le-Grand des études excellentes pour les lettres, plus faibles pour les sciences ; non que son aptitude spéciale ne se fût dès lors révélée, mais parce qu’ainsi qu’il l’a dit lui-même, l’ancienne Université de Paris, restée péripatéticienne après Descartes, persistait, en physique, à demeurer cartésienne après Newton. Il ne tarda pas pourtant à trouver ses voies véritables, car il n’est guère plus facile d’en détourner un mathématicien qu’un poète. D’ailleurs, les hommes supérieurs font leur destinée, et la fortune, fléchit jiresque toujours sous le génie. Ses parents l’envoyèrent au Havre apprendre le commerce en tenant des livres et en copiant des factures ; mais, avant de quitter Paris, ce jeune homme avait entendu le canon de la Bastille et la voix de Mirabeau. Un pareil bruit contrastait trop avec le silence d’un comptoir pour n’y pas susciter des distractions fréquentes. Bientôt l’étranger menaça nos frontières et la grandeur des périls fit oublier celle des crimes. En septembre 1792, le jeune Biot contracta un engagement volontaire. Tout joyeux de faire à la patrie le sacrifice de son Barème, il partit comme canonnier pour l’armée du Nord, emportant les œuvres de Bezout dans son sac, et peut-être en aurait-il fait sortir un