Page:Académie française - Recueil des discours, 1860-1869, 1re partie, 1866.djvu/202

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aux lois qui en maintiennent l’inépuisable fécondité, parce que dans ces lois vient se réfléchir le principe même des choses. Le champ de la création est assez vaste pour que l’imagination n’ait pas besoin d’en reculer les limites, et d’enfanter des monstres afin d’atteindre à l’originalité. De telles prétentions n’indiquent pas tant la virilité que la faiblesse, et l’on revendiquerait moins bruyamment le droit de se frayer des voies nouvelles, si l’on se tenait pour plus assuré de mesurer toujours la hauteur de ses œuvres à celle de ses ambitions.

La liberté est la vie de l’intelligence : il ne sera jamais nécessaire de le rappeler dans l’enceinte où elle trouverait au besoin son dernier asile et ses derniers confesseurs. Passer, en littérature, de Racine à Shakespeare, au risque de n’approcher ni de l’un ni de l’autre, c’est un droit phis périlleux que contestable ; il ne faut, en l’exerçant, compter qu’avec le public dont les arrêts définitifs sont infaillibles, parce que ses engouements sont passagers. Que l’art conserve donc la juste ambition de tout aborder, mais que sa confiance se fortifie par un respect profond pour le domaine inviolable dans lequel il n’y a pour lui ni problème à résoudre, ni nouveautés à découvrir, où toute borne que l’on déplace est un obstacle qu’on élève contre soi-même. Si, après avoir fait le vide dans les intelligences et dans les cœurs, on aspirait à le combler par de désespérantes négations ; si l’on prétendait peupler de rêves et de fantômes les ténèbres d’une nuit sans réveil, vos exemples et vos préceptes apprendraient à tous que le premier intérêt, plus encore que le premier devoir des lettres, est de s’incliner devant la foi du genre humain et les vérités primordiales qui la consacrent, puisque tous les succès durables