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Page:Académie française - Recueil des discours, 1860-1869, 1re partie, 1866.djvu/217

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La loi, qui ouvrait à tous la porte de toutes les carrières, avait fait germer dans toutes les têtes pensantes la prétention, l’espérance de gouverner l’État ; il fallait un grand fonds de philosophie pratique pour résister à ce tourbillon de vanités en délire. Peu d’hommes en eurent la force ; et je ne saurais trop louer et remercier notre Biot de n’avoir pas été entraîné par l’exemple de cette tourbe affamée d’honneurs et de pouvoir. Il y a une singulière analogie entre l’existence de notre confrère et la situation où je le vis pour la première fois. Qu’on me passe cette anecdote ; les vieillards sont conteurs. Il y a soixante ans de cela, je traversais Paris, lorsque, arrivé sur la pont des Arts, je rencontrai une foule de têtes qui tendaient leurs regards vers le ciel ; j’en demandai la cause, et un des curieux me montra un ballon qui planait dans les airs à quatre mille mètres du pavé. C’était le jeune Biot qui, en compagnie de son ami Gay-Lussac, était allé s’assurer qu’à cette hauteur l’air était le même que sur la terre, et que la force magnétique s’y conservait sans affaiblissement notable… Eh bien ! c’est ainsi qu’il a plané pendant toute sa vie au-dessus des ambitions et des rivalités politiques, n’envisageant, comme il l’a dit du fameux Lagrange, les événements extérieurs que comme de simples incidents qui ne devaient point troubler ses études ; et préférant, comme il l’a dit plus tard de Cauchy, préférant, aux inconvénients des positions publiques, les joies morales et les plaisirs purs de l’intelligence. Sans doute, comme les Cuvier, les Thenard, les Poisson et bien d’autres, il pouvait aspirer à toutes les faveurs dont les gouvernements disposent, siéger dans leurs conseils, dans nos assemblées, se reposer enfin dans les honneurs gratuits ou soldés et plus ou moins inamovibles du