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Page:Académie française - Recueil des discours, 1860-1869, 1re partie, 1866.djvu/216

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tion aurait naturalisé le gouvernement représentatif en France, si le crime de Louvel n’avait effrayé le roi qui nous l’avait donné, et ranimé les colères du parti qui le tolérait à peine. Parlerai-je des temps plus voisins du nôtre ? Ces hommes, que vous avez jugés dans vos livres, sont pour la plupart sur les mêmes bancs que vous. Ils m’écoutent, ils me regardent. D’autres, venus plus tard au monde politique, sont en face de moi ; ils épient mes paroles pour les commenter à leur manière. Si je parlais de vos mécomptes, si je retraçais après vous nos dissentiments, nos querelles, les conflits de nos ambitions, de nos jalousies, les luttes bruyantes de nos tribunes, les hommes des anciens jours m’accuseraient de flatter le présent. Si je rendais justice aux vertus privées, à la politique d’un roi qui, en couvrant la Belgique de ses drapeaux, a rompu le premier ces traités, contre lesquels on proteste encore, les hommes nouveaux me traiteraient peut-être de factieux. Tel est le sort des écrivains qui, au lendemain d’une révolution, osent rendre justice aux vaincus ; les suivants du triomphateur n’ont pas assez de cris pour étouffer sa voix. Je ne parle point des panégyristes du temps présent : ce ne sont que des plagiaires, et j’en ai vu tant d’autres. J’ai assisté à tant de lendemains de la même nature ; et je n’ai pas connu de spectacle plus révoltant que ces saturnales de la victoire, que ces revirements d’opinions et de colères, que ces jugements passionnés qui ne sont le plus souvent qu’une bruyante mendicité.

Oh ! qu’il eut bien raison le savant illustre, dont vous venez prendre la place, de n’exposer ni son repos ni son honneur à ces variations de la fortune politique ! Il arrivait à l’âge d’homme au moment où pas un lettré n’était sans ambition.