Page:Académie française - Recueil des discours, 1860-1869, 1re partie, 1866.djvu/245

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

assemblée générale du conseil d’État, ce fut sur l’injonction formelle de Cambacérès qui présidait, et il avait préparé une opinion écrite. Un membre influent du Conseil, écrivain élégant et improvisateur très habile, M. Regnaud de Saint-Jean d’Angely, lui dit : « Quoi ! vous avez écrit et vous allez lire ! S’il en est ainsi, vous vous condamnez à ne jouer jamais aucun rôle dans le conseil. Croyez-moi, jetez votre papier au feu ; parlez d’abondance, vous parlerez mal la première fois, plusieurs autres encore peut-être ; mais vous finirez par en prendre l’habitude, et, pour peu que vous ayez quelques moyens, vous vous ferez une place dans les affaires. » Je suivis son conseil, dit M. Pasquier, en racontant cette conversation, et j’ai acquis ainsi le peu de talent qui a créé et assuré mon existence politique.

Je ne veux pas me laisser entraîner à vous dire par quels côtés importants l’éloquence de la tribune diffère de celle de la chaire et du barreau. Ne suffit-il pas de remarquer que l’orateur de la tribune, au lieu de l’auditoire pieusement muet, qui recueille comme d’indiscutables vérités les paroles qui tombent de là chaire ; au lieu des magistrats bienveillants qui prêtent une oreille attentive au procès qu’ils vont juger, voit en face de lui un auditoire en partie, hostile, sur lequel il prétend exercer une puissance que tant de passions ou d’intérêts sont disposés à lui contester ; qu’il ne peut pas toujours choisir ni le moment où il parle, ni le terrain où il se place ; qu’il est obligé parfois de concevoir l’ensemble de son discours, et d’en ordonner les détails avec la même promptitude qu’un général conçoit son plan de bataille ; qu’il doit attaquer ses adversaires sans risquer d’en faire, pour son opinion, des ennemis irréconciliables ;