Page:Académie française - Recueil des discours, 1860-1869, 1re partie, 1866.djvu/26

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lisées, on eût dit que le genre humain l’attendait, et cependant, de ce côté-ci de l’Atlantique, il ne répondait à aucune passion, à aucun parti, à aucune école, à aucun peuple. Il venait seul avec le génie de l’écrivain, la pureté de son cœur et la volonté de Dieu. Il apportait à tous les esprits sensés, au milieu du chaos des doctrines et des événements, une lumière qu’on pouvait ne pas goûter, mais qui différait de tout, une lumière qui tenait de l’avenir sans accabler le présent. Rien de pareil ne s’était vu depuis le jour où Montesquieu avait publié son Esprit des lois, livre sans modèle aussi, supérieur à son siècle par la religion et la gravité, et qui, malgré sa nature si profondément sérieuse, eut l’art de séduire et demeure encore populaire aujourd’hui qu’il est trop peu lu.

Votre voix, Messieurs, s’unit aux suffrages des deux hémisphères. Vous n’attendîtes pas que l’âge eût mûri la gloire du jeune publiciste, et vous le fîtes asseoir près de vous, sur ce siège où vous l’a enlevé une mort aussi prématurée que l’avait été son illustration. Mais je me reproche d’aller moi-même trop vite et d’ouvrir un tombeau quand je ne suis encore qu’au seuil d’une immortalité.

Il y avait dans l’ouvrage dé M. de Tocqueville plus d’un genre d’attrait. L’Amérique était mal connue ; aucun esprit supérieur ne l’avait encore étudiée. Les uns n’y voyaient de loin qu’une démagogie grossière et importune ; les autres y applaudissaient d’avance le succès de leurs utopies personnelles. M. de Tocqueville mit la vérité à la place de la fable, et sa plume sévère répandit sur un tableau tout neuf le charme infini de la sincèref clarté. Mœurs, histoire, législation, caractère des hommes et du pays, causes et conséquen-