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Page:Académie française - Recueil des discours, 1860-1869, 1re partie, 1866.djvu/25

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qui étonneraient le siècle présent. Ce siècle ne le crut pas. Il marchait plein de confiance en lui-même, sûr de son triomphe, dédaignant les conseils autant que les prophéties, convaincu comme Pompée, l’avant-veille de Pharsale, qu’il n’aurait qu’à frapper du pied pour donner à Rome, au sénat, à la république, d’invincibles légions. Mais M. de Tocqueville ne devait pas mourir sans avoir vu ses prévisions justifiées, ni sans avoir préparé à son temps des leçons dignes de ses malheurs.

« Instruire la démocratie, écrivait-il, ranimer s’il se peut ses croyances, purifier ses mœurs, régler ses mouvements, substituer peu à peu la science des affaires à son inexpérience, la connaissance de ses vrais intérêts à ses aveugles instincts ; adapter son gouvernement aux temps et aux lieux ; le modifier suivant les circonstances et les hommes : tel est le premier des devoirs imposés de nos jours à ceux qui dirigent la société. Il faut une science politique nouvelle à un monde tout nouveau[1]. »

Cette science nouvelle, M. de Tocqueville croyait l’avoir découverte dans les institutions, l’histoire et les mœurs du premier peuple qui eût vécu sous une parfaite démocratie. Incapable de voir en simple spectateur un si grand phénomène, il avait voulu en pénétrer les causes, en connaître les lois, et, certain d’instruire sa patrie, peut-être même l’Europe, il avait écrit de l’Amérique avec la sagacité d’un philosophe et l’âme d’un citoyen. Son livre fut illustre en un instant, comme l’éclair. Traduit dans toutes les langues civi-

  1. De la Démocratie en Amérique, introduction.