Page:Académie française - Recueil des discours, 1860-1869, 1re partie, 1866.djvu/301

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qui, par un coup violent, ramène le mourant à la surface, et lorsque tous trois se cramponnent convulsivement au bordage, c’est elle encore qui prévient la submersion en se suspendant du côté opposé. Tout le monde enfin est embarqué, excepté elle ; mais, quand on veut l’amener à bord, on la trouve évanouie, les mains crispées, et il faut, en la soutenant, la traîner flottante à la remorque du canot qui regagne le rivage. Là enfin, on la dépose sans connaissance dans les bras de ses compagnes.

Nous avons lu, écrit de la main de celui qui a été ainsi dérobé à une mort certaine : « Je dois la vie à cette héroïque demoiselle et à son jeune frère ; leur courage, leur dévouement, leur persévérance, sont au-dessus de toute expression, et ma reconnaissance ne peut pas non plus s’exprimer par des paroles. »

L’Académie à son tour, Messieurs, ne veut par aucune parole affaiblir l’intérêt de ce récit. Mlle de la Gâtinerie a dix-huit ans ; elle est la fille d’un honorable fonctionnaire, ancien commissaire général de la marine au Havre. L’Académie a pensé qu’elle ne pouvait lui offrir aucune récompense. Mais elle a chargé son directeur d’exprimer publiquement son admiration pour tant de courage. C’est un hommage qu’il nous est doux de rendre. Mais, si nous ne nous trompons, Mlle de la Gâtinerie s’étonnera qu’on célèbre ainsi le souvenir d’un jour qu’elle ne se rappelle que comme un des plus heureux de sa vie. Pour certaines âmes, ce que nous nommons héroïsme ne semble que du bonheur.