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Page:Académie française - Recueil des discours, 1860-1869, 1re partie, 1866.djvu/32

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mait enfin par une autre vue, par la vue des peuples déchus, des mœurs perverties, des bassesses couronnées, des talents avilis, des cœurs sans courage ; et, remarquant que toutes ces hontes dont l’histoire déborde correspondaient aux âges et aux leçons de la servitude, il se prenait pour la liberté d’un second amour plus fort que le premier, de cet amour où l’indignation s’allume et se fait le serment d’une haine et d’un combat immortels.

Ce serment vivait dans l’âme de M. de Tocqueville. Il inspira toutes ses pensées, il commanda toutes ses actions.

Je devrais ici, Messieurs, vous entretenir des douze années de sa carrière législative. Mais sur cette lave encore brûlante je ne rencontrerais plus seulement des idées et des vertus, je rencontrerais les hommes et les événements. Puis-je les aborder ? Du haut de ce banc où il avait été appelé dès 1839, et d’où il descendit aux derniers jours de 1851, il vit tomber la monarchie parlementaire, apparaître la république et se fonder un empire, chutes et avènements qu’il avait prévus et qui amenèrent sa retraite, mais non pas son silence et son découragement. Il aimait la monarchie parlementaire, et il eût voulu la sauver. Née en 1814 des longues méditations de l’exil, elle eût dû réconcilier tous les Français autour d’un trône qui avait le prestige de l’antiquité, et qui avait repris dans le malheur cette jeunesse que lui seul peut rendre aux rois. Mais l’esprit de la France, même après vingt-cinq ans de révolutions, n’était pas mûr pour les secrets et les vertus de la liberté. Il eût fallu à tous, roi et peuple, clergé et noblesse, chrétiens et incroyants, un génie que le temps ne leur avait pas encore donné. Le trône premier tomba, le second voulut renouer dans un sang royal