Page:Académie française - Recueil des discours, 1860-1869, 1re partie, 1866.djvu/373

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sée par la rudesse des nécessités de la vie, l’intelligence prise au dépourvu par les besoins du corps, ce sont là les maux tout particulièrement amers qui n’appartiennent qu’aux sociétés civilisées. Ce sont ceux auxquels la famille Lécuyer de Lanfain, près Saint-Brieuc, s’est vue il y a peu d’années en proie, et dont le dévouement de la fille Feillet, leur domestique, s’est efforcé avec une persévérance infatigable d’adoucir les atteintes.

Mme veuve Lécuyer, femme d’un honorable commerçant, s’est trouvée, à la mort de son mari, privée, par de fausses spéculations, de toute espèce de fortune. Un fils lui restait, à qui des facultés heureuses avaient ouvert les portes de l’École polytechnique, et promettaient un brillant avenir. Elle voulut le rejoindre à Paris : mais comment venir sans argent du fond de la Bretagne et comment vivre sans argent dans la grande ville ? Les épargnes d’une pauvre servante vinrent résoudre cette difficulté. La fille Feillet mit à la disposition de sa maîtresse dix-huit cents francs d’économie qui composaient tout son avoir. C’était tout ce qu’elle possédait ; mais ce n’est pas tout ce qu’elle a trouvé moyen d’offrir et de consacrer à ses anciens maîtres. Ce ne fut que le premier acte d’un long drame et le premier trait d’une suite d’actions héroïques.

À peine arrivée à Paris avec sa fidèle compagne qui ne voulait pas la quitter, Mme Lécuyer ne put résister au chagrin et au changement de ses habitudes. Elle rendit le dernier soupir entre les bras de Marianne Feillet. C’était le moment pour Jules Lécuyer demeuré seul sur la terre, mais jeune, instruit et maître de sa destinée, de payer sa dette à la pauvre fille. Mais, soit que l’énergie de son âme ne répondît pas à l’heureuse disposition de ses facultés, soit que ces fa-