Page:Académie française - Recueil des discours, 1860-1869, 1re partie, 1866.djvu/379

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ver la critique, les reproches des amis ou de la famille, les regards étonnés des indifférents, cette opinion, en un mot, qui exerce son action aussi bien au village que sur la scène des affaires publiques et dont l’empire est souvent même d’autant plus tyrannique que le cercle où l’on vit est plus rétréci. Point d’acte un peu extraordinaire, vous le savez, qui ne commence par sembler digne de blâme à ceux dont il surprend les regards : c’est ce que l’Evangile a si bien nommé la folie de la croix, et la sagesse humaine ne manque jamais de se laisser prendre à cette apparence. Faire comme tout le monde est le premier des aphorismes qu’elle débite avec une suffisance étroite et pédante. Parmi ces mêmes notables, magistrats municipaux, bourgeois, propriétaires, qui, aujourd’hui, en présence des résultats conquis par l’effort de vertus exceptionnelles, s’empressent d’y applaudir et sollicitent de nous des récompenses, plus d’un peut-être, au début, a déconseillé, en hochant la tête, à Jean Laffray d’ouvrir sa maison à des vagabonds. Plus d’un a représenté gravement à Marianne Feillet qu’elle devait ses économies à sa famille plus qu’à sa maîtresse, qu’il fallait prendre soin de ses vieux jours et que charité bien entendue commence par soi-même ; plus d’un a averti Jeanne Mialaret qu’elle perdrait sa peine à vouloir ouvrir la tête dure des petits montagnards. À tous on a dit que sans argent, sans secours, sans lumière, ils ne pourraient rien faire ; que soulager le malheur était l’affaire de l’État, de la commune, des voisins riches, de tout le monde, excepté celle des malheureux eux-mêmes. Heureusement pour nous, ces braves gens ont laissé dire et continué de faire : et, sans rien présumer de leurs forces, ils n’ont écouté que leur conscience et leur cœur.