Page:Académie française - Recueil des discours, 1860-1869, 1re partie, 1866.djvu/382

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d’imaginer que le bien public pourra naître d’une autre source que celle d’où jaillit la libre énergie des vertus personnelles. C’est vainement que, les bras croisés dans une confiance optimiste ou fataliste, nous attendons toujours l’amélioration de la condition humaine, tantôt de l’avenir, tantôt de l’opinion, tantôt de la force des choses ou même des principes. Toutes ces puissances abstraites ne répondront pas à nos vœux, si elles ne commencent par tenir de nous-mêmes et de nos efforts la vie qui leur manque. Les meilleurs principes sont des lettres mortes sans une main pure qui les applique et des consciences droites qui les mettent en pratique ; l’opinion ne se forme que par les exemples qui l’éclairent et qui l’épurent ; le temps n’a d’action que par l’activité de ceux qui l’emploient. Les généralités qui posent en l’air sont creuses autant que sonores. Ce sont les idoles de nos jours : nous les taillons nous-mêmes avant de les adorer ; mais, pas plus que les simulacres des nations antiques, elles n’ont d’yeux pour nous voir et d’oreilles pour nous entendre. Allez au fond de tous les progrès déjà réalisés sous nos yeux, vous trouverez toujours, à l’origine, pour les concevoir ou les exécuter, pour les faire passer de l’idée au fait, un homme, assez semblable à ceux que nous couronnons aujourd’hui, leur supérieur sans doute par l’éclat du génie ou de la naissance, mais rigoureusement leur égal par le véritable cachet de la grandeur morale, par le courage de la lutte et l’esprit du sacrifice, un homme qui s’est oublié et immolé lui-même. C’est l’auxiliaire indispensable des plus généreuses théories. Un levier fût-il capable de soulever le monde, il lui faudrait encore pour s’ébranler lui-même un bras de chair et d’os, un faible bras, mais un bras vivant.