Page:Académie française - Recueil des discours, 1860-1869, 1re partie, 1866.djvu/39

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admiré dans Zénon le père de cette héroïque postérité qui survécut à toutes les grandeurs de Rome, et consola, par le spectacle d’une force d’âme invincible, tous ceux qui croyaient encore à eux-mêmes quand personne ne croyait plus à rien. Si Horace et Virgile lui avaient présenté sous des vers admirables l’image douloureuse de poètes courtisans, il avait retrouvé dans Lucain la trace du courage et les dieux, non moins que César, sacrifiés par lui aux vaincus de Pharsale. Enfin, au terme des lettres anciennes, et comme sur le seuil de leur tombeau, Tacite lui avait parlé cette langue vengeresse qui a fait du crime même un monument à la vertu, et de la plus profonde servitude un chemin à la liberté.

Ce chemin, d’autres l’ouvraient aussi quand Tacite en creusait de son implacable burin l’âpre et immortel sillon. Car, semblable à ces souffles réguliers qui ne quittent les flots d’une mer que pour soulever ceux d’une autre, la liberté change de lieu, de peuple et d’âme, mais elle ne meurt jamais. Quand on la croit éteinte, elle n’a fait que monter ou descendre quelques degrés de l’équateur. Elle a délaissé un peuple vieilli pour préparer les destinées d’un peuple naissant, et tout à coup elle reparaît au faite des choses humaines lorsqu’on la croyait oubliée pour jamais. Il y avait donc, au temps de Tacite, des hommes nouveaux qui travaillaient comme lui, mais dans une langue inconnue de lui, à la rénovation de la dignité humaine, et qui faisaient pour la liberté de la conscience, principe de toutes les autres, plus que n’avaient fait les orateurs, les philosophes, les poètes et les historiens de l’âge écoulé. Ils ne s’appelaient plus Démosthène ou Cicéron, Platon ni Zénon, et ils ne parlaient