Page:Académie française - Recueil des discours, 1860-1869, 1re partie, 1866.djvu/40

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plus à un seul peuple du haut d’une tribune illustre, mais isolée : ils s’appelaient Justin le martyr, Tertullien l’Africain, Athanase l’évêque, et, soit leur parole, soit leurs écrits, s’adressaient à toutes les parties du monde connu, littérature universelle qui présidait à la fondation d’une société plus vaste que l’empire romain ; littérature vivante encore après dix-neuf siècles, et dont vous êtes, Messieurs, à l’heure présente, un rameau que je salue, une gloire que je ne méritais pas de voir de si près.

Les lettres françaises ont eu, depuis trois siècles, une part à jamais mémorable dans les destinées du monde. Chrétiennes sous Louis XIV, avec la même éloquence, mais avec un goût plus pur que dans les Pères de l’Église, elles ont opposé Pascal à Tertullien, Bossuet à saint Augustin, Massillon et Bourdaloue à saint Jean Chrysostome, Fénelon à saint Grégoire de Nazianze, en même temps qu’elles opposaient Corneille à Euripide et à Sophocle, Racine à Virgile, La Bruyère à Théophraste, Molière à Plaute et à Térence : siècle rare, qui fit de Louis XIV le successeur immédiat d’Auguste et de Théodose, et de notre langue l’héritière de la Grèce et la dominatrice des esprits.

Le siècle suivant dégénéra du christianisme, mais non pas du génie. Père de deux hommes tout à fait nouveaux dans l’histoire des lettres, il eut en eux ses astres premiers, l’un qui tenait de Lucien par l’ironie, l’autre qui ne tenait de personne ; tous les deux puissants pour détruire et pour charmer, attaquant une société corrompue avec des armes qui elles-mêmes n’étaient pas pures, et nous préparant ces ruines formidables où, depuis soixante ans, nous essayons de replacer l’axe ébranlé des croyances religieuses et des