Page:Académie française - Recueil des discours, 1860-1869, 1re partie, 1866.djvu/43

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l’utopie, des hommes d’État qui ont gouverné par la parole des assemblées orageuses et n’ont rapporté du pouvoir que la conscience d’en avoir été dignes ; des philosophes qui ont relevé parmi nous l’école de Platon et de saint Augustin, de Descartes et de Bossuet, et inscrit leur nom, à la suite de ceux-là, dans la grande armée de la sagesse éloquente ; des écrivains qui ont eu l’idolâtrie de la perfection du style, et à qui une vieillesse privilégiée n’a pu en désapprendre l’art : tous mêlés avec honneur aux luttes de leur temps, couverts de ses cicatrices, et, sans avoir pu le sauver, sûrs de compter un jour parmi ceux qui ne l’auront ni flatté ni trahi.

Et vous aussi, Tocqueville, vous étiez parmi eux ; cette place d’où je parle était la vôtre. Plus libre avec vous qu’avec les vivants, j’ai pu vous louer. J’ai pu, en dessinant vos pensées, en retraçant vos actes et votre caractère, louer avec vous tous ceux qui comme tous cherchaient à éclairer leur siècle sans le haïr, et à jeter nos générations incertaines dans la voie où Dieu, l’âme, l’Évangile, l’ordre et l’action forment ensemble le citoyen et soutiennent la société entre les deux périls où elle ne cessera jamais d’osciller, le péril de se donner un maître et le péril de se gouverner sans le pouvoir. Nul mieux que vous n’a connu nos faiblesses et dévoilé nos erreurs ; nul non plus n’en a mieux pénétré les causes, ni mieux indiqué les remèdes. M. de Chateaubriand disait dans une occasion mémorable : « Non, je ne croirai point que j’écris sur les ruines de la monarchie. » Vous eussiez pu dire : Non, je ne croirai point que j’écris sur les ruines de la liberté.

C’est aussi votre foi, Messieurs, c’est la foi des lettres fran-