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Page:Académie française - Recueil des discours, 1860-1869, 1re partie, 1866.djvu/482

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le prix, pour leurs mérites et pour leurs dissemblances. L’un, l’ouvrage inscrit sous le n° 17, avec cette épigraphe dérivée de Bossuet : « La louange languit auprès des grands noms, et la seule simplicité d’un récit fidèle pourrait soutenir la gloire de Chateaubriand, » s’est affranchi des formes oratoires, tout en gardant l’accent de l’admiration. L’auteur a fait un livre, au lieu d’un discours : il a dans ce livre des lenteurs et des redites. La vie publique de Chateaubriand lui est moins intimement connue que son génie littéraire, bien que les incidents et les passions de cette vie publique aient été souvent les plus puissantes occasions de ce génie. Mais il montre bien, par une forte analyse de l’Essai sur les révolutions, quelle place la politique devra tenir dans la pensée et dans la carrière du jeune voyageur, soldat émigré, écrivain solitaire, puis en France le plus illustre écrivain d’une époque guerrière, resté grand et libre de cœur sous le pouvoir absolu.

Les événements prodigieux de ce siècle secondent cette disposition innée de l’auteur d’Atala. Le poëte, l’homme d’imagination, le critique éloquent, le créateur un peu artificiel, mais admirable encore, d’une épopée tardive, est tout à coup transformé en polémiste puissant contre le conquérant, dont il s’était séparé, avant la fortune ; et bientôt il devient le publiciste tantôt zélé, tantôt mécontent, le ministre, l’opposant de la monarchie qu’il voudrait consacrer par la tradition et rajeunir par la liberté. Un renversement nouveau, qui ne sera pas le dernier, rendra au loisir forcé de l’étude ce talent indomptable ; et pendant de longues années, entre les travaux de critique et d’histoire, il écrira des Mémoires qui sont un monument vrai de lui-même, plutôt encore que de son pays et de son temps.