Page:Académie française - Recueil des discours, 1860-1869, 1re partie, 1866.djvu/615

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« Il fut de mes aieux la demeure chérie ;
« Je dois la léguer à mes fils. »
— « Tant pis pour eux, il nous est nécessaire, »
Lui répond un castor, « Change de logement ;
« Nous avons une digue à faire,
« Et cet arbre en sera le plus sûr fondement. »
— « Ce n’est pas pour mon toit que ma voix vous implore, »
Repart l’infortuné, que ces mots font frémir ;
« Mais j’ai trois fils jeunes encore.
« Trop faibles pour me suivre, hélas ! ils vont périr.
« Vous êtes les plus forts, nous sommes sans défense :
« Abuserez-vous sans rougir
« De votre force et de notre impuissance ?
« Par pitié, laissez-vous fléchir ! »
Les castors gardent le silence ;
Mais leur fatal labeur ne se ralentit pas.
Et l’écureuil a perdu l’espérance.
Vers le nid paternel il remonte à grands pas.
Il rejoint en pleurant ses petits et leur mère.
« Allons, » dit-il, « allons, il faut fuir de ces lieux :
« Cet arbre va tomber sous les coups furieux
« D’un ennemi cruel et sourd à ma prière.
« Chers enfants, sur mon dos un de vous montera ;
« Femme, que le dernier s’attache à ta mamelle ;
« Entre nous deux le plus fort marchera,
« Soutenu par ta queue et ma main paternelle. »
Chacun des deux époux a choisi son fardeau.
Ils gagnent à pas lents un solide rameau
Qui, d’un sapin du voisinage,
Venait croiser l’épais feuillage