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Page:Académie française - Recueil des discours, 1860-1869, 1re partie, 1866.djvu/66

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un pareil succès. Le premier état de son âme avait produit l’ouvrage sur la Démocratie en Amérique ; c’est du second qu’est sorti le volume sur l’Ancien Régime et la Révolution : livre moins brillant, moins confiant, plus sévère que le premier, mais supérieur par l’élévation et la précision des idées, par la fermeté du jugement politique et l’intelligence des conditions impérieuses de la liberté ; livre qui révèle tout ce que l’esprit, déjà si haut et si rare, de M. de Tocqueville avait gagné, en si peu de temps, dans le difficile travail du pouvoir et sous le poids de la responsabilité.

En lisant la Correspondance, naguère publiée, de M. de Tocqueville avec ses principaux amis, de 1824 à 1858, j’y ai trouvé, et le public y trouvera, je pense, la trace visible de ce progrès. C’est bien toujours le même homme, sérieusement et vertueusement libéral, et fidèle à la cause à laquelle il s’est donné dès sa jeunesse ; mais, à mesure qu’il avance, il s’élève, se dégage, se développe, voit plus avant dans la nature de l’homme et des sociétés humaines ; et jamais il n’en a si bien jugé ni si dignement parlé qu’au moment où ses yeux se ferment et où sa voix s’éteint. C’est la faveur suprême que la Providence réserve quelquefois aux amis sincères de la vérité et de l’humanité à qui il n’a pas été donné de marcher toujours ensemble et de se soutenir mutuellement dans les travaux de la vie : quand ils en entrevoient le terme, quand ils se reposent et se recueillent avant d’y toucher, parvenus, chacun par sa route, sur les hauteurs où brille la grande lumière, ils se reconnaissent, se rapprochent et s’unissent dans une commune espérance et une mutuelle équité. Union tardive et peut-