Page:Académie française - Recueil des discours, 1860-1869, 1re partie, 1866.djvu/65

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

compris et plus rapprochés que ne l’a voulu notre mutuelle destinée.

Ce qui domine, en effet, dans ce livre, ce qui l’a inspiré et le vivifie, c’est un sentiment profond des difficultés qu’a rencontrées, que rencontre parmi nous l’établissement de la liberté politique, et un vertueux désir de les bien définir et mettre en lumière pour nous apprendre à les vaincre. Pendant dix ans après son entrée dans la vie publique, M. de Tocqueville en goûta, dans une situation facile et douce, les nobles plaisirs ; il faisait, à la politique des pouvoirs de ce temps, une opposition loyale et modérée ; il se livrait, en pleine liberté, aux généreuses ambitions de sa pensée, affranchi de toute lutte contre les obstacles et de toute responsabilité des événements. Bien contre son vœu, la Révolution de 1848 changea tout à coup sa position et son rôle ; il n’avait ni désiré ni provoqué la République ; il la redouta, il en douta en la voyant apparaître : mais, avec un dévouement patriotique et triste, il fut l’un de ceux qui tentèrent sérieusement de la fonder ; indépendamment de son action dans les deux grandes assemblées de cette époque, il mit lui-même la main au gouvernail, et fut quelques mois l’un des ministres du pouvoir. Quelle différence, quelle distance. Monsieur, je ne veux pas dire quel abîme entre les deux horizons qui, à vingt ans d’intervalle, se sont ouverts devant ses regards ! En 1831, il avait vu et étudié, en libre spectateur, les causes qui avaient assuré, dans les États-Unis d’Amérique, le succès de la liberté politique et républicaine ; de 1848 à 1851, il lutta, il se débattit, il succomba, en généreux acteur, sous le poids des causes qui repoussaient parmi nous