Page:Académie française - Recueil des discours, 1860-1869, 1re partie, 1866.djvu/666

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Le bizarre, l’ignoble, et l’horrible, et l’obscène.
Ont chassé le sublime et le beau de la scène.
On n’y montre les rois que pour les ravaler.
Le travail de mon siècle est de tout niveler.
Le langage élégant de la vieille Thalie
Ne convient déjà plus à notre comédie ;
Et déjà trop d’auteurs ont par la gravité
Du vieil esprit gaulois remplacé la gaîté.
Mais que gagneraient-ils à changer de manière,
À reprendre aujourd’hui la tâche de Molière,
De former un public, de le morigéner,
D’ennoblir le théâtre et de l’y ramener ?
Si le public y vient, s’il applaudit, s’il paye,
Qu’importe qu’un Boileau, qu’un Caton s’en effraye ?
On le prend tel qu’il est, on le sert à son goût.
L’art n’est rien pour l’auteur et la recette est tout.
Si la scène demain devenait plus morale,
La foule irait ailleurs demander du scandale ;
On verrait, pour servir ses appétits grossiers.
Travailler nuit et jour conteurs et romanciers.
Les lecteurs s’arracher les produits de leur veine,
Et vingt éditions leur suffiraient à peine.
Tandis qu’un Montyon, fraîchement couronné.
Irait dans un grenier mourir abandonné.



Chacun prêche et défend la morale publique ;
Mais qu’il paraisse un livre à l’allure cynique,
La foule à flots pressés accourt chez l’éditeur.
Et la vogue s’attache au nom de son auteur.