Page:Académie française - Recueil des discours, 1860-1869, 1re partie, 1866.djvu/675

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effet, de grandes fortunes détruites par la parole, et de grandes fortunes établies par le silence, surtout si le silence succédait à la vogue de la parole.

Périandre était tyran de Corinthe ; il s’était emparé du pouvoir. Voici ce que lui écrivait un de ses amis, un sage aussi peut-être : « Je n’ai rien caché à l’homme que vous m’avez envoyé ; je l’ai mené dans un blé, j’ai abattu en sa présence tous les épis qui s’élevaient au-dessus des autres. Suivez mon exemple, si vous désirez vous conserver dans votre domination : faites périr les principaux de la ville, amis ou ennemis ; car un usurpateur doit se défier même de ceux qui paraissent ses plus grands amis. » Il est vrai que Périandre disait que les grands ne pouvaient avoir de garde plus sûre que l’affection de leurs sujets. C’était peut-être encore une sagesse de cacher les duretés de la politique sous la bénignité des paroles. À cause de sa politique d’action ou à cause de sa politique de paroles, il régna, dit-on, cinquante ans.

Chilon était éphore à Sparte. C’était aussi un habile homme et fort ingénieux à gouverner sa conscience. Écoutez cette confession de son dernier jour. Chilon, se sentant approcher de sa fin, regarda ses amis assemblés autour de lui : « Mes amis, leur dit-il, vous savez que j’ai dit et fait quantité de choses depuis si longtemps que je suis au monde. J’ai tout repassé à loisir dans mon esprit, et je ne trouve pas que j’aie jamais fait aucune action dont je me repente, si ce n’est, par hasard, dans le cas que je soumets à votre décision pour savoir si j’ai bien ou mal fait. Je me suis rencontré un jour, moi troisième, pour juger un de mes bons amis qui devait être puni de mort