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Page:Académie française - Recueil des discours, 1860-1869, 1re partie, 1866.djvu/678

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en honnête homme dans une république bien policée. Il a laissé deux enfants fort estimés, avec un bien raisonnable pour les faire subsister ; et enfin il a eu le bonheur de mourir les armes à la main en remportant une victoire pour sa patrie. Les Athéniens lui ont dressé un tombeau dans le lieu même où il avait perdu la vie, et lui ont rendu de grands honneurs. » Crésus crut que Solon était un insensé : « Eh bien, continua-t-il, quel est le plus heureux des hommes après Tellus ? — Il y a eu autrefois deux frères, répondit Solon, dont l’un s’appelait Cléobis et l’autre Biton. Ils étaient si robustes qu’ils sont toujours sortis victorieux de toutes sortes de combats. Ils s’aimaient parfaitement. Un jour de fête, leur mère, qui était prêtresse de Junon, devait aller nécessairement faire un sacrifice au temple. Comme on tardait trop à amener les bœufs qui devaient traîner le char de la prêtresse, Cléobis et Biton s’y attelèrent et la conduisirent jusqu’au lieu où elle devait aller. Tout le peuple leur donna mille bénédictions ; leur mère, ravie de joie, pria Junon de leur envoyer ce qui leur était le plus avantageux. Quand le sacrifice fut fini et qu’ils eurent fait très-bonne chère, ils allèrent se coucher, et moururent tous deux dans cette même nuit. » À ce récit, Crésus ne put s’empêcher de faire paraître sa colère : « Comment ! répliqua-t-il, tu ne me mets donc point au nombre des gens heureux ? — O roi des Lydiens, lui répondit Solon, vous possédez de grandes richesses, vous êtes le maître de beaucoup de peuples ; mais la vie est sujette à de si grands changements qu’on ne saurait décider de la félicité d’un homme qui n’est pas encore au bout de sa carrière. Le temps fait naître tous les jours de nouveaux accidents dont même on n’aurait jamais pu