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Page:Académie française - Recueil des discours, 1860-1869, 1re partie, 1866.djvu/71

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titre il méritât l’honneur et le frein de votre adoption. — Après avoir été dans notre âge d’or littéraire, à part une noble exception, l’entretien un peu fade des cercles précieux et des ruelles élégantes, il ne s’était pas beaucoup élevé dans l’opinion en s’asservissant aux goûts les plus équivoques du siècle suivant, en se livrant à ces débauches d’esprit qu’on appelait alors d’aimables badinages, et qui se mêlaient si singulièrement à l’innocence des idylles et à la candeur des tableaux champêtres, pour charmer les derniers loisirs d’une société agonisante. Déjà, cependant, du fond de ces limbes, ce genre léger avait donné à notre langue classique un de ses derniers chefs-d’œuvre et l’un des plus immortels : Gil Blas avait paru. Bientôt les plus rares esprits, tourmentés par des inspirations nouvelles écloses au souffle nouveau des temps, hésitaient à les enfermer dans les cadres consacrés : ils essayaient de les produire sous une forme plus libre, dont les limites indécises semblaient se prêter presque indéfiniment aux mouvements inquiets de la pensée moderne : la Nouvelle Héloïse, Paul et Virginie, René, Corinne, voyaient le jour, et le roman moderne avait ses ancêtres. Toutefois ces éclairs isolés, ces caprices du génie, en intéressant l’Académie comme le reste du monde, ne pouvaient encore la persuader. Quelques œuvres brillantes, en effet, ne suffisent pas à fonder un art nouveau, à en affirmer la vie et la durée. Le roman, entre les mains délicates ou puissantes qui s’en étaient emparées tour à tour comme d’un jeu, avait jeté sans doute un éclat sérieux, mais qui pouvait paraître emprunté. Des maîtres l’avaient créé ; mais, pour être lié en quelque sorte dans la pourpre, était-il destiné à régner ou même à vivre ? Avait-il désormais, indépendam-