Page:Académie française - Recueil des discours, 1860-1869, 1re partie, 1866.djvu/72

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ment des magies de la main-d’œuvre, une existence, une valeur propre qu’il vous fût permis de sanctionner ? Rien de plus incertain encore au début même de ce siècle.

Peu à peu, cependant, les talents littéraires qui se succédaient en France, autorisés par de si hauts précédents, excités par l’exemple des littératures étrangères, répondant peut-être d’ailleurs à quelques mystérieuses exigences d’un état social nouveau, inclinaient de plus en plus à encadrer dans la forme du roman leurs dons les plus variés. La fiction, la description pittoresque, l’étude des caractères et des passions, les domaines autrefois réservés et distincts de la poésie, du théâtre, de la philosophie même et de l’histoire, — le roman envahissait tout, et quelquefois usurpait tout. Les imaginations les plus riches, les esprits les plus pénétrants, les plumes les plus heureuses, rivalisaient, en ce genre, d’invention séduisante, d’observation forte et d’éloquence passionnée. Le roman, par ses mérites et aussi par ses excès, par la complicité ardente du goût public dans toutes les classes de la nation, par son action manifeste sur les idées et sur les mœurs du siècle, témoignait d’une vitalité véritable. Il avait prouvé, dans l’ordre littéraire, qu’il pouvait servir à la gloire du pays ; dans l’ordre moral, qu’il pouvait faire le bien et le mal : c’est alors, Messieurs, qu’il vous parut juste de lui imposer une solidarité d’honneur avec les plus grands noms littéraires du pays, de lui donner une famille, des traditions, des droits, tout ce qui inspire ie respect de soi. Il y a des aristocraties fécondes qui se recrutent chaque jour sans faiblesse comme sans mépris, dans tout ce qui se révèle vivant chez une nation : l’Académie semble les prendre pour modèles quand elle aime à concilier ainsi les