Page:Académie française - Recueil des discours, 1860-1869, 1re partie, 1866.djvu/78

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entière le nom et les grâces d’une forme dramatique née sous notre ciel, le vaudeville. — Ce ne serait pas, Messieurs, rendre à M. Scribe un hommage qui eût pu lui agréer, que de passer avec négligence sur cette première phase de son talent, qui fut comme le printemps de sa vie littéraire. L’Académie s’en souvient : en la remerciant de ses suffrages, c’était vers ces chansons printanières que l’auteur de la Carmaraderie reportait sa pensée la plus émue. Par un jeu d’esprit sensible, mais dans un langage charmant, il se plaisait à vous retracer l’histoire de la chanson nationale, dès ses origines un peu fabuleuses : il lui prêtait des titres de noblesse en la rattachant au poëme épique de Roland ; des titres révolutionnaires, en vous rappelant le temps où la France était une monarchie absolue tempérée par des chansons, — tempérament assez illusoire, il faut en convenir, quand la chanson elle-même était tempérée par la Bastille. — Il la retrouvait ainsi, d’âge en âge, étroitement associée à l’histoire même et au génie de la nation, tantôt comme le plus fidèle reflet de nos mœurs, tantôt comme une sorte d’institution politique, tantôt comme la muse héroïque de nos frontières, — jusqu’aux jours récents où la chanson, élargissant ses ailes et planant au-dessus de tout pouvoir et de toute répression, allait répandre et exciter sans cesse, d’un bout du pays à l’autre, les amertumes, les regrets et les espérances populaires.

Sans contester, Messieurs, comme sans admettre pleinement cette thèse brillante dans toutes ses parties, on ne peut nier que la chanson n’ait été et qu’elle ne reste un art vraiment français, parce qu’elle se prête merveilleusement à l’expression et au relief de certaines qualités essentielles à