Page:Académie française - Recueil des discours, 1860-1869, 1re partie, 1866.djvu/86

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plaise, en la respectant et en ne la flattant pas. Il remplit noblement et simplement la vraie tâche du poëte : il élève ceux qu’il amuse ; s’il connaît bien leur vertus et s’il sait les encourager, il n’ignore pas leurs défaillances et il sait les combattre.

Cette vérité, répandue dans tout le cours de ses ouvrages, nous apparaît avec plus d’éclat dans les productions de sa maturité, dans ces brillantes comédies dont il a enrichi pendant vingt ans notre première scène. Où le trouvera-t-on, en effet, coupable ou suspect de cette froideur d’âme qu’on a semblé lui imputer ? Est-ce dans le Mariage d’argent, dont le titre seul indique l’élévation de la cause que l’auteur y défend ? est-ce dans la Camaraderie, dans le Verre d’eau, où triomphe en plein relief le type favori de l’auteur, son héros accoutumé, l’homme d’honneur et de mérite, sans fortune et sans intrigue ? est-ce dans une Chaîne, enfin, son drame le plus vivant et peut-être son chef-d’œuvre, où les douleurs et les grandeurs même de la passion, et de la passion coupable, sont exprimées et presque amnistiées avec une sympathique éloquence ?

On le voit assez : ce qui répugne à Scribe, ce qui lui semble dangereux et haïssable, c’est l’exagération vaine, la chimère, l’affectation, le faux ; c’est la fantaisie substituée à la morale ; c’est la passion érigée en maîtresse vertu, en devoir suprême, en règle unique de la vie. Mais, d’ailleurs, autant que personne, il a dans le cœur et dans l’esprit l’intelligence bienveillante, l’amour même et le culte de ces sentiments désintéressés, de ces délicatesses exquises, de ces nobles exaltations qui forment, dans une région supérieure au devoir lui-même, le domaine de la beauté morale ; mais