Page:Académie française - Recueil des discours, 1890-1899, 2e partie, 1900.djvu/176

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minutes par les dialogues à haute voix, les rires sonores et le refrain d’une certaine Marche tartare que je suis heureux de n’être pas seul à me rappeler ici.

En ces temps lointains, on avait encore le sentiment du respect, je l’avoue avec confusion. Les jeunes gens daignaient admirer des œuvres publiées avant l’apparition des leurs et témoigner quelque déférence aux grands écrivains qui les avaient précédés. Ils ne s’imaginaient pas, comme le font les révolutionnaires d’à présent, que l’art d’écrire datait seulement du jour ou ils avaient pris la plume et ne pensaient point que tout homme de lettres ayant dépassé quarante ans était bon à envoyer aux Incurables. Nous parlions de Victor Hugo, de Théophile Gautier, de Leconte de Lisle comme les soldats parlaient des maréchaux de France. On conçoit donc combien nous étions fiers et touchés de la cordialité de camarade que nous témoignait M. Leconte de Lisle, avec quelle reconnaissance nous écoutions ses conseils, quel caractère de leçons prenaient pour nous ses paroles. Tantôt c’étaient des secrets de métier qu’il divulguait littéralement, tantôt des théories esthétiques et des principes généraux. Il disait : La science est le moyen dont le but est l’art. Les cerveaux bien organisés résolvent la méditation en inspiration. Les dons naturels sont de peu de valeur s’ils ne sont fécondés par l’étude. On assure que le propre des poètes de génie est de chanter comme l’oiseau soupire. C’est bien possible, mais ne sachant pas la langue des rossignols, des fauvettes et des serins, je dois m’en remettre à l’opinion de ces derniers. – Il s’insurgeait contre la distinction entre le fond et la forme. L’idée, s’écriait-il, n’est pas derrière