Page:Académie française - Recueil des discours, 1890-1899, 2e partie, 1900.djvu/197

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l’homme dans la langue la plus belle, la plus précise, la plus classique.

Leconte de Lisle est mort dans la gloire. Il avait hérité de Victor Hugo le sceptre d’or et le vert laurier. Sans être populaire, son nom était illustre. Son génie toujours fort et jeune lui inspirait à soixante-quinze ans les Parfums et l’Enlèvement d’Europeia. Il a triomphalement appliqué sa théorie de l’union de la science avec la poésie. Doué par miracle de ces deux qualités contraires, l’esprit créateur et l’esprit critique, il a donné dans ses poèmes l’impression du Beau absolu. Par son retour aux sources grecques, il a renoué la tradition classique. Par son exemple et ses conseils, il a eu une influence puissante et heureuse sur plusieurs générations de poètes. Il leur a ouvert l’esprit aux idées générales et enseigné le respect de la règle, la probité professionnelle, la sévérité pour soi-même. Comme l’a dit un de ses disciples préférés, il fut « leur conscience poétique » [1]. L’œuvre de Leconte de Lisle aura la durée de l’éclatant et pur Paros dans lequel il semble qu’il l’ait taillée. Avec les plus grands poètes du XIXe siècle, il ira de renaissance en renaissance. Il survit dans le cœur de ses amis. Il avait écrit à une heure d’apaisement : « Les morts qu’on pleure sont plus heureux que les vivants qu’on oublie, car ceux-ci ne sont que cendre et poussière tandis que ceux-là revivent dans les cœurs qui les regrettent ». Ces paroles, il faut les inscrire sur le tombeau de Leconte de Lisle.

  1. Vicomte de Guerne, les Siècles morts. Préface du tome II.