Page:Académie française - Recueil des discours, 1890-1899, 2e partie, 1900.djvu/202

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nous ne l’éprouvons guère que pour l’exiger des autres ! Nous ne devenons vraiment respectueux qu’en nous sentant devenir nous-mêmes respectables. Et comment, aussi bien, respecterions-nous, en littérature ou en art, ceux dont nous ne nous proposons que de défaire l’œuvre, pour la refaire ? Malherbe a-t-il « respecté » Ronsard ? Racine a-t-il « respecté » Corneille ? Voltaire a-t-il « respecté Pascal » ? et lequel de ses prédécesseurs dirons-nous que Victor Hugo ait « respecté ? » Jean- Baptiste Rousseau peut-être et plus tard, le prophète Isaïe ! Quelle que fût en tout cas l’admiration de M. Leconte de Lisle pour les grands poètes qui l’avaient précédé, je me la suis toujours imaginée plus voisine de l’émulation que du respect ; et vous me trouverez sans doute bien téméraire ! mais vous m’excuserez ; et j’aime à croire que M. Leconte de Lisle m’aurait lui-même pardonné, si ma témérité n’est après tout qu’une manière de rendre hommage à son originalité.

Il a voulu faire autre chose que les « Romantiques » et là même est sa gloire, comme celle des « Romantiques » est d’avoir, en leur temps, voulu faire autre chose que n’avaient fait les « Classiques ». Il l’a voulu expressément ; il l’a dit en propres termes ; et il y a réussi ! À cet étalage d’eux-mêmes dont les romantiques avaient tant abusé, — dans leurs Méditations, dans leurs Contemplations, dans la description enflammée de leurs Nuits ; — à leur indiscrète manie de faire leur confession, et aussi celle des autres, sans en être priés, les Poèmes barbares et les Poèmes antiques ont donc prétendu substituer, et ils ont en effet substitué une autre conception de la poésie, moins égoïste, moins personnelle, et non pas tout à fait nouvelle, mais renouvelée d’assez loin, et dérivée