Page:Académie française - Recueil des discours, 1890-1899, 2e partie, 1900.djvu/434

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reproduire la page toute chaude d’admiration et de piété filiales où il nous montre cet enfant du général « élevé en pleine forêt, en plein air, à plein ciel », qui s’abattit un beau jour sur Paris et entra dans la littérature, comme son père entrait dans les carrés ennemis. « Tragédie, drame, histoire, romans, voyages, comédies, s’écrie l’auteur du Fils naturel, mon très cher père, tu as tout rejeté dans le moule de ton cerveau et tu as peuplé le monde de la fiction de créations nouvelles. Tu as fait craquer le journal, le livre, le théâtre, trop étroits pour tes puissantes épaules ; tu as alimenté la France, l’Europe, l’Amérique ; tu as enrichi les libraires, les traducteurs, les plagiaires ; tu as essoufflé les imprimeurs, fourbu les copistes, et, dévoré du besoin de produire, tu n’as peut-être pas toujours assez éprouvé le métal dont tu te servais, et tu as pris et jeté dans la fournaise, quelquefois au hasard, tout ce qui t’est tombé sous la main. Le feu intelligent a fait le partage… Ta grande silhouette se décalquait en noir sur le foyer rouge, et la foule battait des mains ; car, au fond, elle aime la fécondité dans le travail, la grâce dans la force, la simplicité dans le génie, et tu as la fécondité, la simplicité, la grâce, et la générosité, que j’oubliais, qui t’a fait millionnaire pour les autres et pauvre pour toi !… » Ne voilà-t-il pas un magnifique portrait, et fidèle ! Car le fils qui a peint avec de si vives couleurs les brillantes qualités paternelles n’a pas caché non plus les défauts du modèle ; il les a indiqués d’un trait léger, sans trop appuyer. Quand on a lu ce passage, on revoit le bon et spirituel géant, tel qu’il est resté dans la mémoire de ses contemporains : — grand et jovial travailleur, esprit à la verve