Page:Académie française - Recueil des discours, 1890-1899, 2e partie, 1900.djvu/447

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ques-uns de ses héros, l’intuition d’un phénomène moral qui se produisait alors à l’état d’exception, mais qui devait plus tard se généraliser. En effet, depuis cette déjà lointaine époque de 1864, l’esprit des générations survenantes s’est singulièrement modifié. Les jeunes gens, nés un peu avant 1870, ont traversé une crise douloureuse ; ils ont grandi parmi des tragédies sociales inconnues aux générations qui les précédaient, et ils y ont pris de l’existence une conception troublante. Tandis qu’à vingt ans, leurs pères entraient avec une assurance joyeuse dans la forêt de la vie et en exploraient gaiement les chemins, jouissant de la grâce des fleurs et admirant la gloire des ramures verdoyantes ; eux, ne s’y sont engagés qu’avec un secret malaise ; ils ont cru y voir des embûches partout dressées, ils s’y sont sentis enveloppés d’un redoutable mystère. L’impénétrable obscurité de la futaie les a mis en défiance ; les fleurs éparses sous bois n’avaient pour eux qu’un banal et inutile parfum ; pour eux, les rameaux des chênes n’avaient plus de gloire. Ils se sont pris à douter du chemin à suivre et le doute a desséché dans leur cœur la faculté de s’enthousiasmer et d’aimer. Alors, rencontrant le personnage de Ryons, ils l’ont reconnu et salué comme un frère. Loin de le déclarer haïssable, ils l’ont jugé sympathique et vrai, parce qu’il leur ressemblait.

Un exquis poète, devenu un de nos meilleurs romanciers et qu’Alexandre Dumas déclarait « un des analystes les plus précis et les plus autorisés de la génération actuelle », un de vos plus jeunes confrères, Messieurs, a très bien défini pourquoi, malgré sa pratique du monde, son opulente indépendance, ses qualités les plus sédui-