Page:Académie française - Recueil des discours, 1890-1899, 2e partie, 1900.djvu/448

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santes, de Ryons se masque d’ironie et n’est pas heureux : « De Ryons, dit-il, a eu et aura des maîtresses. Mais en amour, posséder n’est rien, c’est à se donner que consiste le bonheur, et de Ryons ne le peut pas. La claire vision de la duperie du sentiment est en lui pour toujours et le condamne à ce pessimisme qui peut satisfaire son intelligence et son orgueil… Et son cœur ? Eh bien ! son cœur est malade… Avec de l’ironie, on cache ces maladies-là, et avec de la sensualité on les trompe ; elles ne guérissent jamais[1]. »

On ne saurait mieux dire. — Dans L’Ami des femmes, la volonté de faire servir le drame à l’affirmation ou à la diffusion d’une vérité morale commence à apparaître nettement. De Ryons, à travers les incidents suscités par un cas psychologique, est visiblement chargé de résumer un système de philosophie pratique. C’est la première manifestation, le point de départ des pièces à thèse qui vont se succéder désormais et où Alexandre Dumas, élargissant sa manière, inaugurant ce qu’il appelle le Théâtre utile, proclame que l’auteur ne doit plus se contenter de faire rire ou pleurer, qu’il doit se faire non seulement moraliste, mais « législateur ». Dorénavant, il ne se bornera plus à mettre en scène le vieil amour, « ce premier-né des Dieux », à montrer les frénésies et les tragiques fautes qu’il suscite ; il s’efforcera d’établir l’illogisme et l’injustice des lois civiles inventées pour prévenir ou châtier ces crimes de l’amour, et il essaiera de réformer la législation sociale. C’est là, Messieurs, une grosse

  1. Paul Bourget, Nouveaux essais de psychologie contemporaine