Page:Académie française - Recueil des discours, 1890-1899, 2e partie, 1900.djvu/468

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se révèle l’autre tendance de l’esprit lorrain, cette faculté d’y voir juste et net, ce positif et direct coup d’œil, sans illusion à la fois et sans pessimisme, tournure d’intelligence bien Française par cette qualité d’un bon sens lucide et précis. Comment s’est fait en vous le mariage de cette observation un peu terre à terre et de l’exquise imagination qui vous a dicté vos vers de nature, c’est un problème de psychologie littéraire que je livre à vos futurs biographes, comme aussi cet autre : pourquoi le délicat paysagiste qui est en vous a-t-il caché au lecteur habituel, voire à la critique, l’observateur désabusé qui a tracé des portraits de tyrans domestiques aussi vigoureux que celui du père Maugars ou de la vieille Heurteloup, et incarné le libertinage campagnard dans des types aussi brutaux que celui de Jean de Saint-André ou du beau-père de Sauvageonne ? Mais qui a pu traverser la vie littéraire sans apprendre qu’être célèbre, c’est être méconnu par plus de gens ? Lorsque l’on compare la légende qui s’établit autour de certaines œuvres à ces œuvres mêmes, on reste parfois étonné du degré de cette méconnaissance. Quoi de plus maladif et de plus tragique par exemple, et dès le début, que les belles nouvelles de Maupassant qui a, toute sa vie durant, passé pour un auteur gai, pour un jovial et gaulois conteur ? Quoi de plus imprégné d’une foi profonde, religieuse, presque superstitieuse, dans l’Idéal et son triomphe, que l’œuvre de Renan dont le nom est devenu synonyme de scepticisme ? Et pour en revenir à vous, Monsieur, quoi de plus sévère, dans son ensemble, que votre tableau de la province, à vous qui passez pour un idyllique aquarelliste de sous-bois ?