Page:Académie française - Recueil des discours, 1890-1899, 2e partie, 1900.djvu/481

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tort d’attacher ce haut prix au suffrage du délicat esprit féminin ? Ne sont-ils pas, d’abord et surtout, les peintres de l’émotion, et l’émotion, qui n’est qu’un accident de la vie de l’homme, n’est-elle pas la vie entière de la femme ? Et puis, celle-ci est beaucoup plus libre que l’homme des préjugés esthétiques. Elle n’a pas besoin de donner des raisons abstraites à ses enthousiasmes. Sa spontanéité s’exalte ou s’attendrit quand l’homme discute encore et se réserve. Et, ce faisant, elle y voit presque toujours plus juste. Elle reconnaît si la copie du cœur humain, objet premier de l’œuvre d’imagination, est ressemblante ou ne l’est pas. Passez en revue la suite des artistes que les femmes ont ainsi révélés et consacrés : ils se sont appelés dans ce siècle Chateaubriand, Lamartine, Balzac, Alfred de Musset ; et que nos contemporaines aient ajouté à cette élite de leurs écrivains préférés l’analyste implacable de la Visite de Noces, l’austère justicier de la Femme de Claude, l’évangélique utopiste des Idées de Madame Aubray, c’est le plus sûr éloge, me semble-t-il, que l’on puisse faire et d’elles et de lui.

Quelque légitime pourtant que soit l’enthousiasme des femmes autour d’un écrivain, et précisément parce qu’il devance la critique et procède de l’émotion, il n’est pas toujours partagé par la portion masculine du public qui réclame d’un auteur les hautes vertus intellectuelles à côté des grâces et des séductions sentimentales. Dumas eut cette fortune et ce mérite que son œuvre suscitât chez les hommes un égal mouvement de curiosité passionnée, et cela non seulement parmi le large public ingénu qui aime le théâtre pour le théâtre, et qu’une pièce bien faite est toujours sûre de dompter, mais parmi cet