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Page:Achard - Belle-Rose, 1847.djvu/116

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Un rayon éclatant illumina le regard de la duchesse ; puis, le front appuyé sur sa main, elle se tut. Mme la duchesse de Châteaufort était alors dans tout l’éclat de sa beauté. Grande, svelte, admirablement prise dans sa taille, toute sa personne offrait un heureux mélange de grâce et de dignité ; elle avait naturellement cette démarche aisée, ce port noble et ce grand air dont les dames de la cour de Louis XIV devaient, par toute l’Europe, illustrer la majesté. Peut-être même pouvait-on lui reprocher la superbe assurance de ses manières, qui imposaient parfois plus qu’elles ne charmaient, et l’expression hautaine de son visage ; mais elle savait à propos en tempérer l’orgueil par une élégance ineffable, une adorable coquetterie dont les grâces magiques prêtaient à son geste, à son regard, à son sourire, une irrésistible douceur. La chaleur du sang espagnol, qu’elle tenait de sa mère, se trahissait alors dans l’étincelle humide de ses yeux limpides et rayonnants, dans l’appel muet de ses lèvres pourprées, dans les mouvements onduleux de son corps souple, dans les caresses de sa voix toute pleine de sons purs et veloutés. Mme de Châteaufort se transformait comme une fée, et sous la grande dame brillait souvent l’enchanteresse. Elle savait à sa bouche, d’un galbe fier et dédaigneux, donner le suave contour d’un sourire ingénu ; l’arc délié de ses sourcils se jouait sur l’ivoire d’un front délicat avec une charmante vivacité ; la pâle transparence de ses joues, de son col, de ses épaules, où rampait un réseau de veines bleuâtres, s’illuminait parfois de teintes roses, comme rougissent les neiges sous un baiser du soleil. La divine statue s’animait sous l’éclair de la passion ; et comme la déesse antique, elle apparaissait aux yeux charmés toute éblouissante de vie, de jeunesse et d’amour. Mme de Châteaufort passait pour une des femmes les plus influentes de la cour du jeune roi ; son mari, gouverneur de l’une des provinces du midi de la France, la laissait complaisamment à Paris, où il pouvait tout espérer du