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Page:Achard - Belle-Rose, 1847.djvu/178

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yeux. Le sergent avait le visage abattu et le regard morne, mais dans le clair obscur de la tente, son lieutenant ne s’en aperçut pas d’abord.

– Eh ! c’est toi, mon pauvre la Déroute ? Tu es la première figure amie que je rencontre ici, sois le bienvenu. Te portes-tu bien ?

– Passablement, merci. Il serait même à souhaiter que tout le monde se portât comme moi.

– Ma foi, mon ami, tout le monde ne serait pas fort aise d’avoir la mine que tu possèdes ce soir. Si tu vas bien, tu n’en as pas l’air.

– La santé est bonne, mais c’est qu’on n’a pas toujours lieu d’être satisfait des choses qu’on voit.

– Cette philosophie est sage, sans doute, mais ne te va guère, à toi, dont j’ai appris la nouvelle dignité. Tu m’as succédé, et certes tu ne t’y attendais pas.

– Non, vraiment, et cette nomination a même été le sujet d’une foule de réflexions qui me préoccupent encore, lorsque je n’ai rien à faire. La hallebarde de sergent, c’est mon bâton de maréchal à moi.

– Bah !

– Vous savez mon opinion là-dessus, mon lieutenant. Mais quoique ce soit bien peu de chose, je donnerais volontiers ma peau pour qu’un autre que moi fût dans cet habit-là.

– De quel air dis-tu cela, mon pauvre sergent ! Te serait-il arrivé quelque malheur ?

– À moi ? non, mordieu ! je n’ai pas de ces bonnes fortunes ! Ça tombe sur d’honnêtes gens qu’elles me préfèrent.

Belle-Rose s’approcha de la Déroute et le regarda. Alors seulement il fut frappé de l’accablement de son visage, que la maigre clarté d’une méchante chandelle ne lui avait pas permis de distinguer d’abord.

– Parle ! qu’est-il arrivé ? lui dit-il.

– Un grand malheur… je ne sais pas comment vous l’apprendre…