Page:Achard - Belle-Rose, 1847.djvu/285

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Cette fois, l’écriture était de Suzanne. Belle-Rose cacha le papier sur son cœur, se recoucha et attendit. Sur ces entrefaites, Cornélius et la Déroute étaient arrivés à Paris, poussés par une inquiétude qu’ils ne cherchaient même pas à dominer. M. de Nancrais avait prévenu les désirs du sergent en lui délivrant un congé illimité.

– Voilà une signature qui m’empêche de déserter, dit la Déroute en serrant le papier. Lorsque je commandais l’exercice et que je pensais à mon lieutenant, ma hallebarde était dans mes mains comme un fer rouge.

– Va, dit M. de Nancrais, et tente tout pour le sauver. Si nous n’étions pas en temps de guerre et devant l’ennemi, tu ne partirais pas seul.

Quant à Mme de Châteaufort, elle allait de la Bastille chez M. de Louvois, morne et désespérée. Cette fois, la fière et vaillante Espagnole se sentait vaincue. Un jour qu’elle était seule dans son oratoire, elle vit entrer Mme d’Albergotti. Oubliant à la fois et son amour abandonné et sa dévorante jalousie, elle courut vers sa rivale et lui prit les mains.

– Sauvé ? dit-elle.

Suzanne secoua la tête. Geneviève laissa tomber ses bras.

– Quoi ! madame, le roi lui-même…

– Le roi est le roi ! dit Suzanne avec une poignante expression… c’est l’égoïsme couronné… Il s’est fait un bouclier de la raison d’État… J’ai pleuré à ses genoux, et me voilà !

– Perdu ! mon Dieu ! perdu ! s’écria Geneviève.

– Non, pas encore ; tant que je vis, j’espère.

Geneviève, étonnée de ce langage ferme et résolu, se prit à regarder Suzanne.

– Oh ! continua la veuve, je ne suis plus la femme que vous avez vue à Compiègne. Je puis l’aimer sans crainte, à présent, et tout risquer pour le sauver. J’y jouerai ma fortune et ma vie.