Aller au contenu

Page:Achard - Belle-Rose, 1847.djvu/350

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

nature trop loyale pour vouloir les exprimer ; il lui semblait qu’on aurait pu l’accuser de calomnier une personne qu’elle ne connaissait pas.

– Ma tante était auprès de nous quand ma pauvre mère est morte, reprit Gabrielle ; et nous l’avons toujours retrouvée à nos côtés chaque fois qu’un malheur a visité notre maison.

– Ah ! fit Suzanne.

– Il y a des heures où je me reproche de ne pas lui rendre toute l’affection qu’elle mérite ; mais vous le savez sans doute, Suzanne, ce sont des sentiments auxquels nous ne commandons pas. Malgré tout ce que j’ai voulu, je n’ai jamais pu aimer ma tante.

Cette indifférence ou même cet éloignement dans une personne aussi aimante que l’était Gabrielle frappa Suzanne. Elle avait toujours pensé que ce n’est pas sans motif qu’on éprouve de ces sortes d’antipathie, et se résolut à surveiller la dame si pieuse et si bonne, pour éclaircir ses soupçons. Les événements ne lui en donnèrent pas le temps. Un jour que Gabrielle avait reçu la visite de sa tante, elle trouva dans son livre d’heure un petit papier sur lequel il y avait ces mots écrits au crayon :

« Prenez le voile, ou recommandez votre âme à Dieu. »

L’écriture de ce papier menaçant n’était pas contrefaite, cependant Gabrielle ne la connaissait pas. Elle courut, glacée de terreur, à la chambre de Suzanne.

– Voyez ! dit-elle.

Suzanne frémit d’horreur et entoura Gabrielle de ses bras comme si elle eût voulu lui faire un rempart de son corps.

– Votre tante n’est-elle pas venue ce matin ? s’écria-t-elle avec explosion.

– Oui.

– Que Dieu me pardonne ce que je vais vous dire ; mais dites-moi, Gabrielle, dites : êtes-vous bien sûre de son affection ?