Page:Achard - Belle-Rose, 1847.djvu/363

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ma mère ni même à ma sœur. Je ne sais si le chevalier d’Arraines s’en aperçut, mais il me parut qu’aux promenades et aux réunions du soir, il s’attachait plus particulièrement à moi. Quand il me parlait, sa voix était douce et charmante ; quand il me regardait, ses yeux avaient une expression qui me touchait jusqu’au fond du cœur. Que de fois ne me suis-je pas échappée pour me répéter à moi-même ce qu’il m’avait dit ! Ces jours passèrent comme un matin ! Un soir, ce soir a décidé de ma vie, il me rencontra dans une allée du parc où je me cachais pour rêver. À sa vue, je rougis, et je me sentis trembler sans savoir pourquoi. Il vint à moi et me prit la main ; je n’osais pas le regarder, et cependant je ne faisais aucun effort pour me détacher de lui. Il me parla longtemps ; sa voix me paraissait descendre du ciel, il me disait de ces choses qu’on n’entend pas et qui se gravent au fond du cœur. Quand il en vint à me dire qu’il m’aimait, je crus que j’allais mourir de bonheur ! Je ne voudrais pas d’une vie tout entière s’il me fallait en effacer ce moment-là. Mon cœur battait à m’étouffer ; il me semblait que tout dans la nature me souriait. Tout à coup, nous entendîmes marcher auprès de nous ; je dégageai ma main et me mis à fuir ; mais avant de partir, j’osai le regarder ; ses yeux étaient si tendres et si suppliants, que si l’on n’était pas venu, je serais tombée dans ses bras. Je courus comme une folle dans ma chambre, où je m’enfermai, et je passai toute la nuit à bénir Dieu et à m’enivrer de son nom à lui. – Le lendemain, il partit, continua Gabrielle. Son père le mandait à l’armée ; mais, avant de s’éloigner, le chevalier d’Arraines me fit parvenir cette lettre où il me répétait ce qu’il m’avait dit la veille. Ma vie n’a compté qu’un jour.

– Et depuis lors ? demanda Suzanne.

– Depuis lors, je n’ai plus eu de ses nouvelles. Peu de temps après son départ, ma mère tomba malade,