puis elle mourut ; le deuil entra dans la maison ; ma sœur suivit ma mère ; le petit enfant mourut aussi. La mort fauchait autour de moi ; une vieillesse précoce abattit mon père ; la terreur me prit, d’épouvantables rêves peuplaient mon sommeil : la nuit, je me réveillais en sursaut, baignée de pleurs, échevelée, et il me semblait que des fantômes promenaient leurs mains glacées sur mon visage. On murmura le mot de couvent à mon oreille, on me dit que c’était un refuge : j’y courus. Hélas ! Suzanne, vous savez comment j’en sortirai !
Suzanne n’avait plus la force de répondre ; elle tenait son amie embrassée et pleurait sur elle.
– Vous, Suzanne, reprit Gabrielle, vous sortirez d’ici ; un jour, sans doute, vous rencontrerez M. d’Arraines, heureux peut-être et ne songeant plus à moi. Vous lui direz que vous m’avez vue, vous lui ferez voir au bas de sa lettre – tout mon trésor ! – ces quelques mots que j’ai écrits, et vous lui donnerez cette tresse de mes cheveux, la seule que j’ai dérobée au sacrifice. Et puis vous lui raconterez comment je suis morte. S’il me pleure, il me semble que nous ne serons pas séparés pour toujours…
Suzanne prit la boîte des mains de Gabrielle et la serra sous sa robe. Le jour allait venir, et l’on voyait déjà les grands arbres dessiner les contours de leur feuillage noir sur le ciel transparent. Ce long récit avait épuisé Gabrielle ; elle appuya sa tête pâlie sur l’oreiller et ferma ses yeux gonflés de larmes, ses mains dans les mains de Suzanne. Vers midi, elle demanda les secours de la religion.
– C’est l’heure des adieux, dit-elle à Suzanne, je ne veux plus penser à la terre. Embrassez-moi et souvenez-vous de ma prière.
Suzanne courut avertir la supérieure ; les cloches du couvent commencèrent de sonner le glas funèbre, et les sœurs se rendirent à la chapelle, où bientôt retentit la