Page:Achard - Belle-Rose, 1847.djvu/507

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et cherchait dans l’espace l’ombre des drapeaux flottants. Ces jours-là, Belle-Rose restait triste et soucieux. Tous ces braves soldats qui allaient si fièrement sur le chemin de la guerre avaient devant eux la gloire, des titres et des honneurs. Leurs bras vaillants défendaient la patrie ; l’espoir rayonnait sur leur vie, et leur mort même était utile. La Déroute prenait et reprenait des citadelles de gazon ; mais quand un régiment défilait sur la route voisine, il courait à sa rencontre, le suivait quelque temps et revenait inquiet et taciturne.

– Mordieu ! disait-il, je vis comme un moine. Ces gaillards-là vont se faire tuer. Quelle chance !

Sur ces entrefaites, Suzanne mit au monde une belle petite fille qui était rose et blanche. Le père la prit dans ses bras et l’éleva vers Dieu, après l’avoir embrassée avec des larmes de joie. La mère oublia ses souffrances pour sourire à son mari, et tous deux sentirent à cette vue leur amour s’accroître encore et s’épurer. L’enfant fut tenu sur les fonts baptismaux par Geneviève, qui lui donna son nom ; entre les trois femmes qui l’entouraient, c’était à qui lui prodiguerait le plus de soins ; Belle-Rose ne se lassait pas de le voir, et Suzanne de le caresser ; les premiers murmures que l’enfance bégaye entre des sourires les ravissaient, et c’était pour le père et la mère, fous de tendresse, des extases infinies quand la petite fille avait, de ses lèvres innocentes, balbutié un de ces noms charmants si pleins de douceurs qu’ils consolent de tout. Quelque temps Belle-Rose se laissa bercer par cette joie, mais la présence de cette enfant rendit bientôt à son impatience sa première vivacité. Il fallait à cette fille un nom et un état dans le monde ; après lui avoir donné la vie, ne devait-il pas lui donner la liberté ? le jardin d’une abbaye pouvait-il être son univers ? Ces pensées troublaient parfois la sérénité de Belle-Rose, mais quand Suzanne le voyait trop soucieux, elle mettait la petite Geneviève sur ses genoux en s’asseyant elle-