Page:Achard - Belle-Rose, 1847.djvu/61

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à Béthune, à Péronne, à Amiens, à Saint-Pol et autres villes de la Picardie et de l’Artois.

Sur ces entrefaites, Belle-Rose reçut une lettre dont la suscription lui fit battre le cœur ; il venait de reconnaître l’écriture de Suzanne. C’était la première fois qu’elle lui écrivait directement. Il y a dans la première lettre de la première femme aimée une douceur infinie qui mouille les yeux de larmes divines. Elle apporte une indéfinissable émotion qu’aucune chose ne peut remplacer désormais ; les doigts caressent le papier, la bouche l’effleure ; il s’en échappe un parfum que l’âme aspire, et c’est un enchantement dont le souvenir réchauffe le cœur des plus tristes vieillards. Belle-Rose baisa mille fois cette lettre avant d’en briser le cachet, puis il courut dans la campagne pour donner à ses confuses mais bienheureuses sensations le silence qui permet de les savourer. Quand il se fut blotti à l’ombre des tilleuls, loin des chemins poudreux par où s’épanche le bruit des villes, il déchira l’enveloppe et lut ce qui suit :

« Quand vous êtes parti de Saint-Omer, mon ami, vous aviez dix-huit ans, j’en avais quinze alors ; plus de trois ans se sont écoulés depuis cet instant, et il ne s’est pas passé un seul jour sans que ma pensée se soit arrêtée sur vous. Votre souvenir habite mon cœur comme je vis dans le vôtre : chaque fois que vos lettres annonçaient vos progrès et votre avancement, je me suis réjouie. J’étais heureuse de vos succès et fière d’avoir placé ma tendresse sur un être qui la méritait. Dans la solitude, ma pensée s’est mûrie, mon ami. L’avenir que nous avons rêvé ensemble, et que nous nous étions promis l’un à l’autre d’atteindre, cet avenir m’est toujours doux, et c’est vers lui que se reportent mes illusions quand je veux goûter une heure de tranquille bonheur. L’espérance berce le cœur comme une mère son enfant. Claudine, mon amie, la confidente de mes songes, les anime souvent de sa joyeuse parole, et leur donne