Page:Achard - Belle-Rose, 1847.djvu/62

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alors toutes les trompeuses espérances de la réalité. L’aurore nous trouve bien des fois causant tout bas le long des haies où babillent les oiseaux ; bien des fois le crépuscule nous surprend encore dans les prés, marchant les mains entrelacées, et toutes deux nous regardons les bandes d’or qui s’éteignent, et le dernier sourire du soleil qui luit au sommet des peupliers. Elle a votre nom sur les lèvres et m’embrasse ; il est dans mon cœur, et je me tais. Quant à mon père, il passe son temps à s’informer du prix des denrées pour accroître sa fortune, que je trouve déjà trop considérable. Il m’assure que c’est pour mon bonheur, et je ne peux pas lui faire entendre raison là-dessus. Il achète un jour du foin, et le lendemain du blé, puis il revend le tout avec de gros bénéfices. – C’est pour ta dot, me dit-il. – Une dot qui est déjà trop grosse ! C’est une chose étrange ! les personnes qui nous sont le plus attachées agissent suivant leur fantaisie quand elles croient agir pour notre bien, et travaillent à satisfaire leur goût lorsqu’elles prétendent travailler à notre bonheur. Je voudrais allonger cette lettre pour retarder le moment où je dois vous entretenir de l’affaire qui nous touche le plus près, l’un et l’autre. Mais à quoi bon ? Ne faudra-t-il pas toujours que je contraigne mon esprit à vous en instruire ? l’honnêteté l’exige. Quand vous aurez lu cette lettre jusqu’au bout, vous pleurerez sur moi, sur vous, mais vous m’absoudrez. Ma volonté s’est soumise au mal, elle ne l’a pas fait. Vous savez quelle fut la réponse de mon père à votre proposition : depuis ce jour, il ne m’a jamais entretenue de votre amour et de vos espérances ; seulement, quand on lui parlait des progrès que vous faisiez dans l’estime de vos chefs, il disait que cela ne l’étonnait point et que vous étiez un garçon à parvenir à tout. Dans ces moments-là, je me sentais des envies extraordinaires de l’embrasser. Il y a quelque temps, M. de Malzonvilliers, en revenant d’un voyage qu’il avait entrepris à Calais, me présenta un jeune gentilhomme